Spécialiste de la nutrition, le docteur Arnaud Cocaul nous propose un rendez-vous mensuel pour des conseils avisés. Notre alimentation actuelle, explique-t-il, est déséquilibrée, d'abord par nos modes de vie. Apprenons à mieux manger... La leçon du jour concerne l'extraordinaire découverte du microbiote intestinal, dont l'exploration ne fait que commencer. Alors qu'il est impliqué dans différentes pathologies, nous savons désormais mieux comment le protéger.
Nous vivons en harmonie avec cent mille milliards de bactéries nichées dans notre tube digestif, plus particulièrement dans le colon. Ce microbiote intestinal se compose d'un vaste ensemble de micro-organismes vivant dans l'intestin et qui, outre les bactéries, comporte des champignons, des levures et des phages.
Nous, êtres humains, sommes porteurs d'environ 160 espèces de bactéries différentes. Mais ce qui nous lie, quels que soient notre ethnie ou le continent où nous vivons, c'est un socle commun de 15 à 20 espèces. Le séquençage à haut débit du génome bactérien a permis la caractérisation de ces bactéries cohabitant dans notre intestin. Il apparaît même que la flore digestive varie selon l'appartenance géographique. Elle peut être modulée par la prise de poids ou par l'influence de régimes restrictifs. Nous pouvons être admiratifs d'assister à la mise en évidence d'un nouvel organe en ce jeune millénaire.
Nous pensions que le tube digestif ne se comportait que comme un simple conduit et nous découvrons aujourd'hui qu'il est connecté à notre système nerveux central et qu'il parle aux autres organes. Il nous défend vis-à-vis d'ennemis potentiels, parfois issus de notre environnement immédiat et qui peuvent se comporter comme des pathogènes. L'intestin a des fonctions trophiques, des fonctions métaboliques et des fonctions immunitaires. Il est loin d'être passif.
Une perturbation du microbiote peut aller jusqu'à induire des changements comportementaux dictant des choix alimentaires, des impulsions alimentaires incoercibles échappant à la simple volonté de l'hôte. Ainsi, on peut mieux comprendre pourquoi certains individus sont en perdition complète dans leur comportement alimentaire, indépendamment de leur propre volonté. Des études pionnières conduites chez des souris montrent que le transfert de microbiote intestinal d'une souris obèse vers une souris mince dépourvue de toute flore digestive déclenche chez cette dernière une prise de poids rapide par augmentation de la masse grasse. Cette flore peut donc être impliquée dans l'obésité.
Les médecins observent de plus en plus de personnes se plaignant du syndrome de l'intestin irritable, ce que l'on qualifie de colopathie fonctionnelle. Les perturbations du microbiote intestinal peuvent rendre compte des perturbations physiopathologiques ressenties par les colopathes.
L'organisme humain tend vers un équilibre constant, toute rupture de cette harmonie engendre un chaos interne. Chaque organe ne peut jouer sa partition sans qu'il y ait une symbiose avec les autres, sinon c'est la cacophonie assurée avec l'émergence de pathologies. La dysbiose, ou déséquilibre du microcosme intestinal, peut expliquer des pathologies parfois éloignées apparemment de la sphère digestive comme le diabète, des maladies neuropsychiatriques, des allergies, des affections hépatiques, la maladie cœliaque où le gluten est définitivement banni sous peine de développer des affections gravissimes comme les lymphomes et d'autres maladies inflammatoires comme la rectocolite hémorragique ou la maladie de Crohn.
On peut penser que, dans un avenir proche, des transferts de matières fécales d'un individu sain vers un individu malade pourront résoudre des pathologies qui jusqu'à présent restaient inaccessibles à tout traitement ou imparfaitement contrôlées. C'est à une véritable révolution que nous sommes en train d'assister. Des obèses pourraient éviter des interventions lourdes de réduction de l'estomac ou de tomber dans des régimes charlatanesques. Des malades cœliaques pourraient voir leur confort de vie s'améliorer. Des colopathes pourraient partir en vacances sans aucune hantise. Des diabétiques non contrôlés retrouveraient un équilibre glycémique, source de complications évitées. Donc les approches de la métagénomique sont un enjeu majeur de la médecine. Demain est aujourd'hui. La révolution a commencé. Et quelle révolution... Il faut juste un peu de patience. Des discussions éthiques interviendront inévitablement.
J'insiste sur un point, nous sommes en train de générer des pathologies sociétales (citons l'obésité) par notre mode de vie inapproprié qui est en train de nous saborder. Les dirigeants politiques dans leur majorité ne raisonnent qu'à l'échelle de leur mandature sans penser aux générations futures. Que va-t-on laisser à nos enfants et petits-enfants ? Une planète inhabitable qui fera que les films de science fiction comme Soleil vert, La route ou Le livre d'Elideviendront des reportages et notre monde actuel, le monde d'hier. Nous sommes en train d'épuiser notre flore digestive et de la transformer en la dépeuplant d'espèces bactériennes bienveillantes pour les remplacer par des bactéries malveillantes et perturbatrices de notre état de santé. Nous devons être des veilleurs en alerte et nous disposons d'une arme absolue : le boycott. Respectons nous un peu mieux en commençant par respecter notre planète, y compris notre planète interne.
Pour améliorer sa flore intestinale, colorons nos assiettes
Afin d'améliorer sa flore digestive, il faut la respecter en privilégiant l'alimentation de proximité, de saison et plutôt bio afin de limiter les intrantspathogènes. Il faut colorer son assiette, ce qui booste le capital antioxydant. Il faut apprendre à mieux gérer son stress, source de perturbations de notre flore digestive.
Il faut limiter les prises d'antibiotiques qui décapent les intestins. Il faut limiter son exposition aux agents polluants. En fait, il s'agit en prenant soin de sa flore digestive de retrouver du sens dans une société chaotique et qui nous malmène, certains plus que d'autres.